Le mois dernier, 44 nations africaines se sont réunies à Kigali pour signer un accord prévoyant la mise en place de la plus grande zone de libre-échange au monde depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1995. L’Afrique est-elle prête pour une telle entente? Et dans quelle mesure cette zone de libre-échange continentale (ZLEC) pourra-t-elle améliorer le commerce interrégional?
L’accord vise à établir un marché continental unique pour les biens et services, permettant la libre circulation des personnes et des capitaux à travers l’Afrique. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, la ZLEC a le potentiel d’accroître de 50% le volume des échanges commerciaux au cours des cinq prochaines années.
L’objectif principal est de promouvoir le commerce intra-africain et d’accélérer l’intégration régionale, mais les retombées potentielles comprennent un meilleur accès au marché, des politiques commerciales comparables, de la création d’emplois et des investissements accrus. Plus important encore, l’accord pourrait ouvrir la voie à une diversification économique et à une transformation structurelle dans
le contexte où les marchés ont tendance à délaisser le commerce traditionnel des produits de base pour s’orienter vers une structure industrielle plus moderne, augmentant la valeur ajoutée et créant de nouvelles sources de revenus.
Il ne sera toutefois pas facile d’atteindre cet objectif et il faudra du temps pour constater ses impacts.
Des avis mitigés quant aux impacts potentiels de la ZLEC
Les avis quant au succès de la ZLEC divergent entre ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une mesure déterminante pour favoriser l’intégration économique régionale et ceux qui estiment que les marchés africains ne sont pas préparés à une concurrence accrue.
L’accord arrive certainement à un moment intéressant, alors que certaines des plus grandes économies au monde cherchent à se désengager d’ententes similaires en adoptant une attitude plus protectionniste.
Contrairement à ces économies, l’Afrique ne possède pas les fondements qui ont conduit à l’expansion de ces marchés au départ. Le continent reste tributaire d’un certain nombre de barrières tarifaires et non tarifaires, allant de la piètre qualité des infrastructures et des réseaux de transport, à la lourdeur bureaucratique et à la corruption.
Par conséquent, le commerce en intra-Afrique a été jusqu’à maintenant une occasion manquée. Des données récentes de l’Union africaine ont révélé que les transactions intra-africaines ne représentaient que 16% du volume total des échanges commerciaux du continent, derrière l’Asie et l’Amérique latine, où le commerce régional représente respectivement 51% et 19%.
Il convient de noter que cela ne signifie pas que l’Afrique a mal performé. Le continent a connu une forte expansion économique depuis le début du siècle. Selon la Société financière internationale (IFC), la croissance économique de l’Afrique subsaharienne est passée de 300 milliards de dollars en 2000 à 1,6 mille milliards de dollars en 2017, principalement dus à l’essor du secteur tertiaire.
Au fur et à mesure que les classes moyennes et aisées du continent continuent de croitre, les services sont appelés à se développer davantage. Les dépenses des ménages devraient augmenter dans plusieurs secteurs, en particulier dans les TIC, les transports, l’éducation et le logement. Par conséquent, l’IFC s’attend à ce que l’économie continentale dépasse les 2 mille milliards de dollars d’ici 2020, ouvrant la voie à de nouvelles occasions d’affaires.
Certains doutent cependant du succès de l’opération puisque, dans l’état actuel des choses, l’une des plus importantes économies du continent est notamment absente. Alors que l’accord devait réunir toutes les nations du continent dès le départ – représentant 1,2 milliard de personnes et un PIB combiné de plus de 3,5 mille milliards – le Nigeria a choisi de rester à l’écart pour le moment.
Après une période de croissance anémique, le pays sort tout juste d’une récession. Le Fonds mondial international prévoit une croissance de l’économie de 1,9% en 2018, en raison principalement d’une légère hausse de la production pétrolière. Le choix du Nigeria de rester à l’écart reflète son désir de protéger ses manufacturiers locaux contre une plus grande concurrence externe, particulièrement dans un contexte où le marché intérieur progresse et que la nouvelle conjoncture économique devient de plus en plus attrayante pour les principaux fabricants de biens de consommation.
Des perspectives commerciales soutenues par une croissance plus grande au sein des économies africaines en 2018
La reprise économique attendue au Nigeria et en Afrique du Sud, jumelée à la hausse de la demande extérieure et à la progression du prix des matières premières, devrait permettre au PIB de l’Afrique de progresser de 3,5% en 2018, selon les estimations des Nations unies.
De l’avis des dirigeants d’entreprises africains, les perspectives sont encore plus positives. Selon le sondage effectué en 2017 par OBG auprès de quelque 1000 hauts gestionnaires africains de neuf pays du continent, environ 19% prévoient une croissance du PIB de 4 à 5%, alors que 18% estiment qu’elle sera supérieure à 6%.
De plus, 84% des répondants voient positivement ou très positivement les conditions commerciales locales pour 2018, et près des trois quarts des répondants ont déclaré que leur entreprise était susceptible ou très susceptible de faire un investissement important au cours des 12 prochains mois.
Néanmoins, il existe des défis qui freinent la prospérité économique du continent, semblables à ceux auxquels est confrontée la ZLEC. L’un des problèmes les plus urgents est probablement le manque d’infrastructures. Selon la Banque africaine de développement (BAD), les besoins en matière d’infrastructures oscillent autour de 130 et 170 milliards de dollars.
Bien que cela soit probablement l’un des freins mis en lumière par la ZLEC, l’accord peut également être considéré comme une reconnaissance par les signataires de la nécessité de s’attaquer de front à ce problème et, ce faisant, d’attirer de nouveaux capitaux pour combler le retard en matière d’infrastructures.
Parmi les autres menaces potentielles à la prospérité économique, les PDG interrogés ont identifié une hausse des prix du pétrole (34%) et une instabilité accrue dans les pays voisins (31%) comme étant les deux principaux événements externes pouvant affecter leurs marchés à court et moyen terme.
A plus long terme, la création d’emplois pour la population de jeunes toujours croissante sera la clé de la prospérité sociale et économique. Les cadres interrogés lors du sondage Business Barometer d’ OBG sont d’avis que le leadership (32%), l’ingénierie (16%) et la recherche et développement (16%) sont les compétences les plus recherchées, laissant entendre que la formation de la main-d’oeuvre et les occasions d’emploi dans ces domaines aideront les jeunes à répondre aux exigences du marché du travail.
Les choses bougent certainement en Afrique alors que la plupart des marchés tributaires des ressources se remettent prudemment du choc des prix des produits de base, tandis que les réformes structurelles et les politiques macroéconomiques prudentes entreprises dans des pays comme l’Egypte et le Ghana commencent à payer. « Nos têtes sont au-dessus de l’eau et les économies africaines avancent fortement et avec confiance », a déclaré Akinwunmi Adesina, président de la BAD, lors du Déjeuner diplomatique 2018, à Abidjan en février.